Les reculs du projet de loi 59

Le 5 avril dernier avait lieu un diner-causerie organisé par Illusion-Emploi sur la loi 27, aussi appelé projet de loi 59, sur la réforme affectant la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) et la Loi instituant le Tribunal administratif du travail (LITAT). Le tout était animé par le Comité des travailleurs et travailleuses accidentés de l’Estrie (CTTAE).

Des pages et des pages pourraient être écrites sur le sujet, mais nous tenterons de vous offrir un bref aperçu des principaux impacts des modifications apportées par cette loi sur les personnes se retrouvant à recourir à la LATMP et à la LSST, tel que discuté lors de cet atelier.

La première chose à savoir sur cette refonte est que la CNESST se retrouve avec beaucoup plus de pouvoir : création de règlements et pouvoir de modification des listes de maladies reconnues par elle-même, la capacité de forcer le retour (ou de demeurer) au travail peu importe ce que les parties pensent, l’élargissement de la distance pour un « emploi convenable » à 250 km (oui oui 250 !), ajout d’étapes supplémentaires avant d’avoir recours au tribunal administratif du travail, pour ne nommer que ceux-là. Un des éléments qui sort particulièrement de ce lot déjà peu prometteur est la modification des raisons du retrait préventif des personnes enceintes qui devient encore plus encadrée et devra répondre à un nombre de critères prédéfinis par la CNESST, sans quoi la personne devra demeurer au travail même si elle-même, son médecin et son employeur considèrent le travail dangereux !

Quelques éléments positifs peuvent être soulignés malgré tout cela : l’élargissement de la protection à ceux qui se blessent chez eux lors des heures de bureau en télétravail (ainsi que la possibilité de faire venir la CNESST chez soi pour inspecter le matériel fourni par l’employeur si vous le souhaitez) ainsi que la mise en place de comités obligatoire sur la sécurité au travail sur les lieux de travail de 94% des travailleurs et travailleuses de la province. Tous ces éléments sont soit déjà en application ou seront appliqués d’ici 2024.

Un autre élément à surveiller est le transfert des programmes gouvernementaux vers le Régime des rentes du Québec (RRQ). Ce transfert est un problème majeur et un vecteur de pauvreté indéniable : les personnes prestataires de la CNESST, de la SAAQ et autres programmes du genre, ne cotisent pas au RRQ, pourtant lorsque l’âge d’y avoir accès est atteint (l’âge dépend du programme, mais tourne autour de 65 ans), la personne est, tout bonnement, transférée au peu de RRQ qu’elle a été imposée lorsqu’elle occupait un emploi, ceci est particulièrement dramatique si la personne a dû quitter la vie active tôt; ainsi elle n’a pas pu cotiser durant sa carrière, comme elle l’aurait normalement fait. Cela fait des années que ce problème perdure et le Ministre des Transport (responsable de la SAAQ entre autres) a souligné publiquement ce problème, c’est la première fois qu’un ministre avoue ce problème majeur qui brise des vies chaque année, espérons que le sujet ressortira durant les élections de cet automne !

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En écho à ce texte, voici la lettre ouverte du Centre international de Solidarité ouvrière soulevant le manque de protection pour les travailleur domestique :

La discrimination des travailleuses domestiques est maintenue

Malgré l’annonce de la CNÉSST à l’effet que certaines travailleuses domestiques seront protégées en cas d’accident ou de maladie du travail à partir du 6 avril 2022, des milliers d’autres demeurent exclues du régime de réparation des lésions professionnelles.  Les travailleuses domestiques seront malheureusement toujours discriminées puisque, contrairement à l’ensemble des travailleuses et travailleurs, leur protection sera conditionnelle à l’atteinte d’un seuil arbitraire d’heures de travail.

En mars 2021, plusieurs groupes de défense des droits humains, des groupes de travailleuses domestiques, des groupes de femmes et des organisations syndicales signaient une lettre commune dénonçant la discrimination contre les travailleuses domestiques.  Exclues de la définition de « travailleur » au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, ces travailleuses ne bénéficiaient pas de la couverture automatique de la CNÉSST en cas de lésion professionnelle.  La réforme proposée par le ministre Jean Boulet, débattue à l’époque, n’offrait qu’une couverture conditionnelle aux travailleuses domestiques, sans mettre fin à la discrimination les visant.

La Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail a finalement été adoptée par l’Assemblée nationale le 30 septembre 2021.  Une partie des dispositions de cette réforme entre en vigueur le 6 avril 2022, notamment celles concernant les travailleuses domestiques.  Même s’il sera désormais possible, pour certaines travailleuses domestiques, de bénéficier d’une couverture automatique en cas d’accident ou de maladie du travail, des milliers d’autres demeureront exclues.

Pour bénéficier de la protection automatique de la loi, les travailleuses domestiques devront rencontrer des conditions ne s’appliquant à aucune autre catégorie de travailleuses ou de travailleurs.  Une travailleuse domestique devra ainsi fournir une prestation de travail d’au moins 420 heures sur une période d’un an pour un même particulier ou 7 semaines consécutives d’au moins 30 heures de travail pour un même particulier pour être protégée par la loi.  Si cette travailleuse n’atteint pas l’un de ces seuils, par exemple, parce qu’elle travaille à temps partiel ou pour plus d’un employeur, elle ne sera pas couverte en cas de lésion professionnelle.

Aucune autre catégorie n’est soumise à de telles conditions.  Ainsi, une personne qui travaille seulement quatre heures par semaine dans un emploi occasionnel est protégé en cas d’accident, contrairement à une travailleuse domestique.

Cette discrimination est connue et dénoncée depuis longtemps. En 2008, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) produisait un avis qualifiant de discriminatoire les dispositions excluant les travailleuses domestiques de la couverture automatique en cas de lésion professionnelle.  L’avis de la CDPDJ faisait état d’une discrimination basée sur le sexe, l’origine ethnique et l’origine sociale. Historiquement, cette discrimination provient notamment du fait que ces travailleuses, souvent migrantes et de classes sociales moins nanties, exécutent des tâches considérées comme traditionnellement féminines et donc, dévalorisées.

Pour corriger cette discrimination, il faudrait permettre à toutes les travailleuses domestiques suivant la définition de la Convention no 189 de l’Organisation internationale du Travail de bénéficier de la couverture automatique du régime de réparation.  Selon cette définition, seule « une personne qui effectue un travail domestique seulement de manière occasionnelle ou sporadique sans en faire sa profession n’est pas un travailleur domestique », sans qu’un seuil d’heures arbitraire n’ait à être prouvé.  C’est ce que demandaient bon nombre d’organisations dans le cadre des débats sur cette question lors de la réforme du ministre Boulet.

Les nouvelles dispositions ne font que perpétuer l’exclusion qui mine l’accès de milliers de travailleuses domestiques aux soins et indemnités en cas d’accident ou de maladie du travail.  Pour assurer une réelle protection à ces travailleuses déjà vulnérabilisées par leur isolement et leur statut migratoire précaire, nous continuerons de revendiquer la protection automatique du régime de réparation des lésions professionnelles pour TOUTES les travailleuses domestiques.

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